Ma belle famille a le pied marin. Moi, au mieux, j’ai le pied rivière. Mais le plus souvent, il faut bien l’avouer, j’ai simplement le pied flaque. Le bateau, c’est pas mon dada. Mais comme dans French Curiosity Club il y a le mot Curiosity, et que même si on n’a rien écouté en cours d’anglais depuis la 5ème, ce mot, on sait tout à fait ce qu’il veut dire, je vous propose de nous intéresser ensemble à ce nouveau domaine : la voile.

La voile, c’est l’un des rares sports (avec l’équitation) où les femmes et les hommes sont logés à la même enseigne.  Pas de bateau plus petit, pas d’ancre moins lourde, pas de vent moins fort, pas d’océan moins démonté. Bref, pas de différence. La mer prend l’homme et la femme a égalité, les hommes et les femmes prennent la mer ensemble.

Le 27 octobre 2019, a eu lieu le départ de la 14ème édition de la transat Jacques Vabre, une course qui relie Le Havre à Salvador de Bahia au Brésil, soit un parcours théorique de 4 350 milles (8 056 km). Cette course, elle s’effectue par équipe de deux et elle est sans escale. Il y a 3 types de bateaux qui concourent (le Multi50 un multicoque de 50 pieds (15 mètres), l’IMOCA un monocoque de 60 pieds (18 mètres) et le Class40 un monocoque de 40 pieds(12 mètres)) ce qui donne lieu à 3 classements.

Pour cette édition, cinquante-neuf bateaux étaient inscrits, soit 118 marins dont 10 navigatrices.

Parmi ces navigatrices, il y a Clarisse Crémer. Clarisse Crémer est une jeune femme de 30 ans dont on parle beaucoup en ce moment. Parce que c’est une femme assurément. Parce qu’elle est jeune et peu expérimentée aussi mais surtout … parce qu’elle est le skipper du bateau de la Banque Populaire, l’un des plus gros sponsors de la voile française (6,5 millions d’euros chaque année).

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la Banque Populaire choisit un skipper à qui « prêter » un bateau pour la course et que les candidats à ce privilège ne manquent pas. Alors pourquoi Clarisse Crémer cette jeune femme diplômée d’HEC, qui a grandi loin de la mer (en île de France), créatrice de l’entreprise Kazaden, qui n’a pris le large pour la première fois qu’en 2017 lors de la Mini Transat, a-t-elle été préférée aux autres ? À tous les autres.

Certains jaloux ne lui pardonnent pas cette ascension fulgurante…

Mais tentons d’y voir plus clair et prenons-nous pour Élise Lucet quelques secondes.

Lors de la dernière édition du Vendée Globe (une course à voile autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance) aucune femme n’avait pris la mer. Le dernier gagnant de cette course qui a lieu tous les 4 ans s’appelle Armel Le Cléac’h et c’est lui qui en détient le record de rapidité avec 74 jours, 3 heures 35 minutes et 46 secondes.

Et devinez quoi. C’est lui, toujours Armel Le Cléac’h, qui a été désigné par la Banque Populaire pour devenir le mentor de Clarisse Crémer afin de la préparer à la prochaine édition du Vendée Globe. Et c’est donc encore lui qui l’a accompagnée lors de la Transat Jacques Vabre.

«C’est la première fois où, entre guillemets, ce n’est pas moi qui choisis mon équipier. Si on m’avait dit de faire la Jacques Vabre en Imoca (monocoques de 60 pieds) pour faire une performance, clairement je n’aurais jamais choisi Clarisse, je ne la connaissais pas et elle n’avait pas le niveau des personnes que j’aurais pu contacter»

Voilà ce qu’il a dit, Armel. Pas vraiment un candidat pour les prochaines élections présidentielles si vous voulez mon avis. La langue de bois, c’est pas vraiment son truc.

Alors pourquoi a-t-il accepté ? Parce que le 6 novembre 2018, alors qu’il est deuxième sur la Route du Rhum, Armel Le Cléac’h chavire au large du Portugal et casse son trimaran. Fin de la course et facture un peu salé pour la Banque Populaire. S’il veut repartir un jour, il lui faudra un nouveau bateau – logique, sauf s’il veut se lancer dans l’équitation auquel cas, il lui faudra un nouveau cheval mais ne nous égarons pas – un nouveau bateau disions-nous et donc de l’argent d’un sponsor. La Banque Populaire accepte de financer ce bateau (12 millions d’€ tout de même) mais à condition qu’Armel forme une relève : Clarisse. On ne peut pas tout miser sur un seul poulain, même quand il est question de navigation. 

La Transat Jacques Vabre 2019, c’était donc aussi (surtout?) un entrainement pour la prochaine Vendée Globe qui partira des Sables-d’Olonne dimanche 8 novembre 2020 à 13 h 02. Un entrainement où l’équipage Crémer-Le Cléac’h est tout de même arrivé sixième de sa catégorie.

L’idée de la Banque Populaire, c’est donc de former une relève.  Et qu’est-ce qu’une relève, sinon un potentiel auquel on croit ? Et si vous deviez choisir entre quelqu’un de déjà bon grâce à son expérience et quelqu’un qui semble pouvoir être meilleur mais sans en avoir, que feriez-vous ?

Car il faut rappeler que Clarisse Crémer, semble avoir un certain talent dans le domaine. Du talent, de la persévérance et une force de travail. La navigation n’est pas un sport d’improvisation. Il n’est pas non plus une question de chance. Si on peut s’improviser pongiste le temps d’un week-end barbecue, il est impossible de faire semblant sur un bateau. Personnellement, vous me mettez sur un monocoque de 60 pieds, au mieux, je coule.  Au pire, je coule l’île de Malte. Alors que Clarisse, elle, dès sa première course (la Mini Transat 2017 dont nous parlions plus haut), est arrivée deuxième, à une poignée de milles marins du vainqueur Erwan Le Draoulec.

D’autre part, la victoire d’Armel Le Cléac’h au Vendée Globe 2018 a généré des retombées médiatiques à hauteur de 55 millions d’euros pour la Banque Populaire. Il parait difficile d’imaginer que l’un des plus gros sponsors français puisse prendre la décision de miser sur le mauvais cheval.

Alors réjouissons-nous que la jeunesse et la féminité l’emportent. Laissons Clarisse lâcher les chevaux et prendre la mer.

 

 

 

Article par Sophie Astrabie.