Clotilde a 34 ans. Elle est née et a grandi en Bretagne jusqu’à ses 18 ans.

De son enfance, Clotilde se souvient de la R5 bleue de sa grand-mère. Cette voiture cabossée qu’elle voyait arriver au loin, perchée en haut du grand chêne du jardin, et qui venait se garer dans la cour de la maison. Quand sa grand-mère ouvrait la portière, c’était une effusion d’arômes qui venait la cueillir dans son arbre. Son parfum d’abord, évidemment, mais aussi l’odeur des sièges de la voiture, les œufs, les poulets et la salade, le tout entassé dans le coffre. Et puis, au dessus de tout cela, il y avait le bouquet de fleurs de son jardin qu’elle lui offrait chaque année pour son anniversaire…

Après l’obtention de son bac, Clotilde quitte les terres bretonnes pour le bitume parisien. Elle a fait ce qu’on appelle maintenant « un master de maïeutique », c’est à dire une première année de concours commun de médecine puis quatre années de spécialité sage-femme.

Clotilde est sage femme à l’hôpital depuis près de dix ans quand elle commence à se poser des questions. Elle réalise d’abord qu’elle aspire à plus d’espace. Elle s’imagine de plus en plus quitter sa vie citadine étriquée pour une autre, une vie où elle pourrait à nouveau grimper dans les arbres.

Parallèlement, la désillusion d’un service public hospitalier, pressurisé par des contraintes budgétaires et des directives de gens qui ne sont pas sur le terrain, se fait de plus en plus ressentir.

Sa vie ne lui convient plus, il lui faut changer quelque chose. Mais quoi ? Elle pose une disposition de trois mois et prend le temps de réfléchir à ce qu’elle veut vraiment. Quitter Paris c’était s’éloigner de sa famille, de ses amis, d’un emploi stable, d’un environnement rassurant… Mais il lui faut du changement. Alors Clotilde décide de partir vivre à Toulouse, une ville pour laquelle elle a eu un coup de cœur cinq ans plus tôt.

Pour elle, il n’est pas question d’exercer en privé. « La santé doit rester dans le domaine public. » Alors Clotilde prend une feuille et un crayon et liste ce qu’elle souhaite pour cette nouvelle vie.

  • être autonome dans ses décisions médicales.
  • travailler en adéquation avec ses principes du soin (pas de dépassement d’honoraires, égalité des soins pour tous)
  • rester passionnée et stimulée.
  • ne pas avoir à batailler dès le 15 juin sur le planning des congés de Noël.
  • voir ses patientes repartir contentes.

C’est grâce à cette liste que l’idée de son propre cabinet a commencé à émerger.

Clotilde redoute l’ennuie qu’elle combat sous toutes ces formes. Alors ce projet, il faut qu’il la stimule. Après réflexion, elle se rend compte que la partie la plus passionnante de son métier était celle reliée au diplôme universitaire d’échographie obstétricale qu’elle a passé à la suite de son diplôme d’état de sage femme. Elle décide alors que c’est ce qu’elle fera.

Elle loue un cabinet, s’occupe de trouver le matériel médical, monte un dossier pour un prêt professionnel, commence toutes les démarches administratives… le tout à plus de 600 km de là où elle vit. Au bout de plusieurs mois, son cabinet voit le jour.

Clotilde se souvient encore de l’attente de ses premières patientes, elle qui s’est installée dans une région qui ne la connait pas. De sa peur de ne pas pouvoir se payer pendant six mois qui la pousse à accepter des rendez-vous à 20 heures le vendredi soir.

Aujourd’hui Clotilde est sage-femme échographiste et elle vient de fêter le premier anniversaire de son cabinet. Elle n’attend plus les patientes et elle a même pris des vacances, ce qui est plutôt bon signe.

Quand elle en aura marre, elle montera dans un arbre et elle regardera, au loin, ce que la vie pourrait bien lui réserver.

 

Une peur ? Celle de commettre une erreur qui aurait des conséquences pour une de mes patientes ou son enfant. Quelque chose que j’aurais dû voir, dû savoir… et qui m’échappe. J’ai conscience des limites de mon métier. Mais ce qui me fait peur, ce serait que les conséquences soient liées à quelque chose de mon fait. Une moins bonne concentration par exemple ou un savoir que je n’aurais pas acquis.

Un rêve ? Avoir du temps. Je me sens souvent happée par la vie et quand j’ai l’impression que le rythme ralentit, je ne trouve pas toujours l’énergie de faire autre chose que regarder le plafond la bouche ouverte.

Un échec ? Je n’aime pas ce mot. Je lui trouve quelque chose d’irrémédiable qui me dérange. Il me semble qu’il est toujours possible de tout faire basculer. Peut-être parce que l’idée de ne pas se relever d’un échec me pétrifie… Ne pas se relever d’un échec, ce serait sans doute cela la vraie définition d’un échec finalement.

Une réussite ? Avoir dit non à un chemin de vie qui ne me plaisait pas. Une vie toute tracée qui correspondait à un schéma familial qui, s’il ne m’était pas imposé, me laissait en tout cas penser que c’était comme ça qu’il fallait faire.

Une héroïne ? Ma mère. Sa force m’a toujours impressionnée. Quelque soit le combat, elle est là au premier front pour nous tous.

Dernier truc qui t’a inspiré ? Je m’inspire de tout ce qui m’entoure, ce matin ce sont les petits oiseaux qui chantent. Ça m’inspire la liberté 😉

Une manie ? J’éternue toujours 4 fois d’affilées, 5 les jours de grande forme. Deux, c’est que je suis malade.

Une habitude ? Je n’aime pas les habitudes, par exemple je m’applique à ne jamais petit-déjeuner la même chose. Et en même temps j’aime l’idée de l’habitude, le café du marché, le poulet du dimanche midi… mais je n’aimerais surtout pas y être contrainte.

Un livre de chevet ? Je suis en train de lire Trois filles d’Eve d’Elif Shafik. Les premiers chapitres me plaisent.

Une musique ? Tout à l’heure, je me suis mis à chantonner l’air d’un spectacle mis en scène dans ma chambre d’enfance où je bondissais d’un lit à l’autre jusqu’au bureau en passant par le rebord de fenêtre, sans jamais poser un pied par terre. Un grand spectacle très certainement ! Toute la famille était conviée. Il s’agissait d’une cassette que ma mère avait ramené de son travail : Queen The Show must Go on.

 

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Un portrait signé Sophie Astrabie.